RENAULT 4 / 1961-1992
Parallèlement au billet précédent consacré à l'oubliée R3, la R4 est largement présente sur le net et dans les esprits. Certains aspects de son histoire sont pourtant très intéressants et la fameuse 4L est le lien direct à celle qui lui succèdera finalement en bousculant enfin la catégorie : la Twingo sujet de mon prochain billet.
Mais retour en ce début des années 60. Les prototypes de R3 et R4 ont été assemblés en toute discrétion dès 1959. La production est alors envisagée après la validation des très longs essais routiers qui représenterons en cumul pas moins de 2,9 millions de kilomètres. Cette production est prévue sur l'île Seguin très emblématique à l'époque puisqu'elle est alors la plus grosse usine de production automobile d'Europe. Ce bout de terre mis en avant depuis la création du Château de Versailles, devenu au fil du temps lieu de détente de la bourgoisie mais aussi de blanchisserie et de tannerie de part la présence de la Seine est acheté pendant l'entre deux guerres par Louis Renault et a permis à la marque d'étendre sa production qui jusque là s'effectuait de part et d'autre sur la rive côté Boulogne Billancourt et celle de Sèvres. D'une surface de 11,5ha, cette usine accueillera jusqu'à 30 000 ouvriers et on y trouve alors outre l'usine de production de la 4CV, une véritable piste d'essai souterraine de 2600 mètres et permet surtout un embarquement par voie fluviale de la production. Nous sommes alors au sommet de la compétition commerciale qui oppose Renault nationalisé depuis 1945 et Citroën dont le siège et sa production est situé encore à quelques encablures de là : le fameux quai de Javel dans le 15ème arrondissement de Paris. Or à l'époque, chez Citroën c'est la 2CV qui se vend de mieux en mieux qui est la concurrente directe de la R3 et R4 que Renault s'apprête à commercialiser.
La 4cv cesse d'être produite sur l'île début juillet 1961 dans le but de transformer la chaîne de production pendant la période des congés et mettre en place celle des R3 et R4. Quelques exemplaires sont assemblés et confiés à la presse avant la sortie officielle de Salon de l'auto d'octobre 1961. Si la gamme R3 est comme nous l'avons déjà vu volontairement minimaliste, celle de la R4 se veut plus élaborée. En effet si la version de base sans nom reprend la caisse à 4 vitres et la finition de la R3 mais avec un moteur un peu plus puissant en passant de 3 à 4cv fiscaux, c'est la version à 6 vitres dite "L" symbole de luxe pour "Limousine" qui marquera l'histoire. En effet, si la luminosité de l'habitacle est augmentée avec l'ajout des vitres, la R4 L siglée ainsi sur son hayon (photo) possède des touches de chromes, des enjoliveurs de roues, des tampons en caoutchouc sur les pares chocs, des sièges avants séparés plus confortables que la simple banquette de la version de base mais aussi que la 2CV. Devenant rapidement la version la plus vendue de la gamme, le modèle sera alors communément appelé 4L par le grand public, terme qui caractérise encore le modèle de nos jours.
Voyant cela, la Régie propose dès 1962 une version "Super" qui possède alors des doubles pare-chocs tubulaires, un hayon à double ouverture dont celle du bas qui est inversée, une banquette arrière rabattable mais aussi des vitres de custodes ouvrantes. Cette version de R4 est aujourd'hui également un beau modèle de collection qui se doit d'être précieusement conservé puisque cette version disparait dès 1963 pour le millésime 64, Renault lui préférant une version L avec options. Toutefois, cette base de "Super" sert de point de départ à une série spéciale presque limitée tant elle est rare qui est "La Parisienne". Cette version se caractérise par sa teinte extérieure bicolore faite de motifs écossais ou de cannages peints. Initialement, il s'agissait de séduire les femmes en leur prêtant une R4 pendant 48h. Pour se faire, un partenariat avec le magazine "Elle" a lieu au printemps 1963. Le succès est au rendez vous puisque pas moins de 4200 prêts sont réalisés. Fort de cette expérience novatrice et concluante, la marque décide de mettre cette R4 spéciale au catalogue dès septembre de la même année. La "Parisienne" devient donc officiellement la R4 au féminin avec un tarif d'environ 300 Francs de l'époque supérieur à la L classique. Cette version sera déclinée jusqu'en 1968, année de son retrait, sous plusieurs coloris et avec plusieurs motorisations allant jusqu'à la rendre plus accessible aux ménages ayant des budgets plus serrés.
Cette élégante version est donc remplacée en 1968 par une autre R4 oubliée : la Plein Air. Cette nouvelle version, dont le nom évoque cette fois l'évasion, est confiée pour l'assemblage au fabricant indépendant Simpar connu pour ces versions utilitaires de la marque au losange à transmissions 4X4 pour des utilisations civiles et militaires. Toutefois la Plein Air n'aura pas droit à cette lourde modification technique tout terrain mais à une simple approche destinée au loisir et à la plage. Là encore Renault tente de concurrencer Citroën qui commercialise à peine sa fameuse Méhari mais aussi la Mini Moke de la British Motor Corporation (BMC) qui séduit de plus en plus. Si l'approche de conception est identique, force est de constater qu'aujourd'hui l'histoire n'a retenu dans ce domaine que la Citroën et la Mini Moke. Pourtant cette R4 Plein Air avait de quoi séduire elle aussi ! Cette version sur base 4 L reprend toute la partie avant de la berline et ce jusqu'au pare brise mais est dépourvues de portes qui laissent la place à une large ouverture latérale dont la structure a été renforcée. Le coffre pour sa part ne conserve qu'une version basse, le haut de la R4 étant occupé par une capote. Côté motorisation, la Plein Air reprend la moteur 5cv de La Parisienne, mais voit son prix 1/3 plus élevé que cette dernière du fait de sa production spécifique et surtout plus chère que la Méhari qui connait un succès commercial certain et qui sera même retenu par l'armée française en 1972. C'est donc dans l'indifférence générale que la Plein Air disparait du catalogue en 1970 tant et si bien qu'il n'y a pas de chiffres officiels de production. Il est question d'un peu plus de 500 exemplaires seulement.
Au milieu de ces différentes versions aussi passionnantes qu'originales, un génial prototype de R4 est passé pourtant totalement inaperçu. Il s'agit d'une version courte à 2 portes destinée à la problématique future de la circulation urbaine dénommée de part son allure et sa ligne déséquilibrée "la godasse". Cette étude est l'œuvre de l'ingénieur visionnaire des transports terrestres Jean Bertin qui a mené, jusqu'à sa disparition, l'œuvre de sa vie : l'Aérotrain , monorail essentiellement interurbain sur le principe du coussin d'air dont il avait déposé le brevet quelques années plus tôt (et dont je possède également un blog sur Canalblog). C'est en 1966, alors même qu'il est en plein développement de ces aérotrains 01 et 02 à l'échelle 1/2 au sud de Paris sur la commune de Gometz La Ville, que Jean Bertin décide d'adapter la 4L aux contraintes urbaines à venir sur le plan de la place et de la maniabilité. Si l'avant est une R4 classique comme la version Plein Air, la voiture est coupée en deux et perd ainsi 2 portes et 62cms sur sa partie arrière uniquement, ce qui, sur une voiture initialement de 3,66 mètres la rapproche sensiblement des 2,50 mètres d'une Smart Fortwo qui ne sortira pour sa part qu'en ... 1998 ! Cette R4 très maniable à châssis hyper court et à la ligne générale déséquilibrée est un prototype roulant immatriculé car Jean Bertin a pris comme cobaye une R4 d'occasion de 1966. Trop pris par l'Aérotrain, le projet restera sans lendemain et l'intérêt porté par EDF pour la passer en véhicule électrique en 1973 lors du premier choc pétrolier n'y changera rien. C'est à présent un objet de musée méconnu à découvrir.
Il en est de même pour la version découvrable réalisée et présentée par Heuliez en 1981. Le fameux carrossier des Deux Sèvres s'essaye alors dans la diversification et notamment le cabriolet. Cette version élégante décapotée est exposée au Salon de Genève mais ne sera hélas pas retenue par Renault, la direction de la marque la jugeant trop de niche et trop proche dans l'idée de la 2CV qu'elle combat alors depuis vingt ans. Citroën reprendra l'idée sur la Visa, toujours via Heuliez et le succès commercial ne sera pas au rendez vous.
Evidemment, la R4 possède une sacrée base de transformation, de simplicité et de fiabilité. C'est donc en toute logique qu'elle sera déclinée dans de multiples versions par des artisans français et étrangers. En France, c'est la société bretonne Car Système Style, issue de l'amitié et compétence de deux amis qui est la plus connue sous le sigle JP4. Les administrations adopterons également la 4L berline et fourgonnette : La poste, la gendarmerie, EDF-GDF, l'armée, la 4L est idéale en véhicule de service ou de liaison. La compétition ne restera pas en reste car outre le Rallye de Gazelle de nos jours, la R4 version Simpar 4X4, motorisée par un moteur de R5 Alpine a participée brillamment aux Paris Dakar de 1979 (3 ème) et 1980 (5ème) aux mains des frères Marreau alias les renards du désert.
La 4L poursuivra brillamment sa carrière jusqu'en 1992 avec des évolutions de ces gammes TL ou GTL mais aussi avec des séries spéciales ou limitées biens connues comme la Safari au milieu des années 70, la rigolote Jogging de 1981 blanche et bleue avec son toit en toile produite à 5000 exemplaires, la Sixties de 1985 et ces 2 toits ouvrants, sans oublier les Savane, Clan ou encore la "Carte jeunes" crée en fin de carrière conjointement avec la Super 5 à un prix serré pour tenter de séduire les jeunes. Enfin viendra l'heure de la retraite annoncée sous la forme de 1000 exemplaires d'une série baptisée "Bye Bye" en 1992 non pas que la R4 ne plait plus, mais le 1er janvier 1993 la norme Euro 1 doit s'applique et tous les modèles essences immatriculés à partir de cette date devront être équipés d'un pot catalytique dont le développement sur la R4 à la longue vie commerciale est exclus. Néanmoins, au final c'est une brillante carrière de plus de 8 millions de R4 que la Régie annonce fièrement soit 3 millions de plus que la 2CV. Beau pied de nez quelque part....
Valeur de transaction : de 5000 à 15 000€ pour des versions restaurées du début de carrière et/ou selon rareté.
La véritable 4 L avec ces custodes ouvrantes à l'arrière :
La R4 Super très rare également avec son pare choc articulable et son coffre spécifique :
Son coffre à ouverture en 2 parties :
Et ces sièges avants séparés et banquette arrière rabattable :
La version "La Parisienne" destinée à séduire les femmes des beaux quartiers de Paris :
La Plein Air sortie des chaînes de production Simpar :
La curieuse Godasse : prototype signé Jean Bertin, père de l'Aérotrain :
L'unique prototype R4 découvrable présentée par le carrossier Heuliez en 1981, non retenu par la marque :
La série Jogging, haute en couleurs et pleine de peps :
La Sixties de 1985, série rare et méconnue :
Avec son intérieur multicolore :
La série "Carte jeune" commune à la Super 5 pour tenter de séduire les jeunes :
L'ultime version Bye Bye de 1992 :
1000 exemplaires numérotés de 1000 à 1 :
Un prototype R4 avec en arrière plan un deuxième similaire équipé du coffre repris sur la R4 Super :
photos internet