MERCEDES C111 / 1969-1979
Le fait d'en avoir enfin revu une cet été 2021, m'a immanquablement replongé vers cette histoire unique, véritable aventure humaine à la recherche du développement. Durant les années 70, l'avenir de l'automobile s'écrivait aussi à travers un constructeur assez inattendu car réputé conservateur avec un design qui n'a finalement aujourd'hui pas pris une ride. Et en plus on est passé tout prêt de la production !
Nous sommes au Salon de Francfort en 1969. Sur le stand Mercedes entre les berlines traditionnelles et grands cabriolets 4 places c'est la bousculade car un OVNI positionné sur des rampes en aluminium est présenté au dessus de la foule telle une star. Il s'agit d'un véhicule de type coupé 2 places aux phares escamotables, de couleur orange muni de deux portes à ouverture papillon façon 300SL possédant un coffre à l'avant et un moteur à l'arrière. Première voiture conçue par ordinateur, le CX record de 0.32 laisse augurer des performances de haut niveau. Avec cette approche, Mercedes souhaite expérimenter pour développer tout en cassant au passage ces codes esthétiques d'alors.
Si au premier abord il semble que cela soit un concept car, il s'agit en fait d'un véritable laboratoire roulant qui sera, nous allons le voir, immatriculé et produit en toute petite série.
C'est en 1967 que débute l'étude pour un véhicule à la carrosserie expérimentale comme sa mécanique sous la désignation C101. Elle faiut suite à une maquette nommée SL X à moteur central arrière réalisé en 1965 (photo).
Révolutionnaire esthétiquement puisque sa carrosserie au coup de crayon italien est réalisée en fibre de verre par Bruno Sacco en charge du design du programme, la C101 devenue C111 pour ne pas entrer en conflit avec les désignations Peugeot avec le 0 central l'est également mécaniquement puisque le fameux moteur Wankel y a été implanté. Pour les plus jeunes, Wankel c'est un moteur (du nom de son inventeur) à pistons rotatifs. Inventé dans les années 50, ce moteur a la particularité d'avoir un piston en forme de triangle qui tourne sur lui même. Il permet d'augmenter sensiblement le taux de compression et donc la puissance DIN d'un moteur en gardant une cylindrée contenue. L'adaptation du moteur sur une voiture s'est faite au cours de la décennie des années 60 à travers la marque NSU aujourd'hui disparue. Face aux problèmes de fiabilité mais aussi de consommation très excessives, la première production par NSU avec ce moteur est remise en cause puis stoppée quelques années plus tard. Pourtant cette motorisation intéresse et intrigue d'autres constructeurs à commencer par Mazda. C'est d'ailleurs lui qui a la plus longue expérience au point d'avoir gagné les 24h du Mans en 1991 avec un bloc 2.6 litres 4 rotors et d'annoncer son retour avec cette technologie après l'arrêt de la spécifique RX8 remplaçante de la RX7 il y a quelques années. A la fin des années 70, d'autres constructeurs ont tenté l'expérience. En toute logique on retrouve Citroën toujours à la recherche d'innovations. Les plus initiés se souviennent de l'association avec NSU à travers une entité commune (Comotor) ainsi de la M35 un coupé sur base Ami 8 produit à 267 exemplaires mais aussi de la GS Birotor version de grande série cette fois produite à ...846 exemplaires lancée en 1973 et dont la production a été stoppée dès 1975 en plein choc pétrolier. Si la M35 ou la GS sont devenues rarissimes (Citroën ayant racheté l'essentiel de sa production afin de ne pas assurer le SAV et la disponibilité des pièces), NSU produisait de son côté la RO80, son ultime modèle sorti en 196, voiture de l'année 1968 et construite pendant 10 ans.
Mercedes est également sur le coup et ce depuis 1961 ! Le moteur atypique Wankel très prometteur alors est incorporé dans le premier prototype avec 3 rotors de 602 cm3 chacun. C'est déjà un coupé mais les lignes semblent taillées à la règle. Propulsion avec son moteur en position centrale arrière, la puissance était alors de 280cv et sa vitesse de pointe est pourtant de 260 km/h. Une version plus aboutie à 4 pistons sera installée dans la deuxième C111 dès 1970 et présentée au salon de Genève. C'est là que la C111 commence à marquer les esprits et l'histoire car grâce à son poids de seulement 1240 kilos, son aérodynamisme et sa puissance de 350cv pour une cylindrée de 2.4 litres, le "laboratoire" claque les 300 km/h, et effectue le 0-100 km/h en 4.6 secondes : surnaturel pour l'époque. Les lignes sont elle aussi retravaillées en étant adoucies et la visibilité intérieure améliorée avec notamment un pare-brise panoramique. La soufflerie fait ces débuts chez Mercedes et devient un partenaire indispensable à la table à dessin et aux maquettes en terre.
Présentée sur différents Salons entre 1969 et 1970, la C111-1 puis puis C111-II reçoit un accueil très enthousiaste au point que la direction de Mercedes envisage une réelle production. A Genève, un client fortuné donnera même un chèque en blanc afin d'effectuer une pré-commande. Des demandes similaires provenant de toute la planète arrivèrent au siège de la marque et ce peu importe le prix. Pourtant la marque ne franchit pas le pas. La cause principale est la fiabilité du moteur réputé consommer beaucoup d'huile avec des gros problèmes de segmentation. De plus le rendement est jugé insuffisant mais surtout il consomme énormément de carburant (50% de plus que son équivalent thermique de même puissance) avec comme on dirait aujourd'hui, un bilan carbone quelque peu désastreux ! Dans l'état, l'homologation avec les nouvelles normes anti-pollution qui se mettent en place aux USA en 1970 (Clean Air Act) pour une application en 1975/1976 est irréalisable. Enfin, pour envisager la mise en production, il reste beaucoup de travail sur la sécurité passive afin d'envisager une homologation qui passerait par des crashs tests aussi coûteux qu'aléatoires puisque nous sommes sur de la carrosserie en plastique légère certes mais très friable et totalement nouvelle : la fibre de verre.
Dès 1971, Mercedes jette l'éponge sur une éventuelle production mais poursuit ces expérimentations et développements technologiques à travers 12 prototypes au total. A ce moment l'intégration du Wankel sous les capot du nouveau SL série R107 (présenté dans mon blog) et de la berline W123 est même envisagé. Le père du projet Wankel sur le C111 partant à la retraite en 1972, le moteur perd certainement là sa locomotive, son plus ardent défenseur et surtout développeur. C'est alors qu'arrive le choc pétrolier de 1974. Non seulement Mercedes ne regrette plus du tout la non mise en production de sa voiture mais le Wankel aura son programme définitivement stoppé début 1976. Mercedes ne stoppe pas pour autant le programme C111 et réagit immédiatement en implantant en lieu et place du moteur à piston rotatif, un bloc ...diesel dans une version dite C111 II-D puis dans une version à l'aérodynamisme encore plus poussé : la C111 III !! Les deux voitures construites avec cette motorisation enchaînerons des tests et records sur le tout nouveau circuit de Nardo inauguré en 1975 et situé dans le talon de la pointe de la botte Italienne. Nardo est un anneau de vitesse construit exclusivement pour des tests et mises au point de véhicules. Quatre pistes sont disponibles et toutes ont la particularité d'avoir la fameuse "vitesse neutre" à savoir une exploitation de l'anneau en vitesse maxi comme si le véhicule était en fait sur une ligne droite infinie. La première version turbo diesel de 190cv environ mise au point sur une C111 II impressionne tant par ces performances que par son appétit très contenu. Mais c'est la deuxième version forte de 230cv qui bat tous les records en 1978. La voiture atteint 325 km/h grâce à une très longue démultiplication de sa boîte de vitesse. Il lui faudra d'ailleurs un tour complet (soit plus de 12 kilomètres) pour atteindre cette vitesse. Le bloc diesel n'est pas nouveau car il est issue de la production existante puisqu'il s'agit du 5 cylindres 3.0 litres que l'on retrouve sur la 240D 3.0. Muni donc d'un turbo, la puissance passe de 80cv sur la version atmosphérique de série à 190cv sur la C111. Ainsi motorisée, la voiture tourne sur le Nardo pendant 60 heures avec un système de relais assuré par quatre pilotes. 10 000 kms seront ainsi parcourus à une vitesse moyenne de ...252 km/h ! Une troisième évolution de la C111 est alors conçue. Elle quitte la teinte orangée devenue mythique pour revenir vers l'argenté historique des fameuses flèches d'argent. Beaucoup plus effilée et munie d'une carrosserie intégrant les passages de roues, la voiture est alors équipée d'ailerons visant à améliorer sa pénétration dans l'air à haute vitesse mais aussi sa stabilité. Véritable laboratoire roulant, le prototype est à présent une monoplace et l'espace autrefois dédié au passager est en partie récupéré pour y implanter pour la 1ère fois des équipements de mesures et de transmissions à l'équipe à terre. Avec cette version, Mercedes s'attaque de nouveau aux records toujours à Nardo. Cette fois c'est 12 heures de course qui sont effectuées dans une ambiance d'équipe de formule 1 tant sur la préparation que sur l'organisation et la rapidité des ravitaillements. Avec des moyennes largement supérieures à 300 km/h et une moyenne inférieure au 16 litres/ 100 kms, le moteur diesel étonne et intéresse alors bon nombre de constructeurs en plein 2ème choc pétrolier.
Une ultime version est développée en 1979. Cette fois la marque à l'étoile dispose à la place du bloc diesel un V8 essence d'une cylindrée de 4.5 litres suralimenté par deux turbos. Grâce à sa puissance de 500cv associé à un aérodynamisme poussé à l'extrême, le prototype C111 type IV est flashé à 403,978 km/h sur l'anneau de Nardo. Les appendices aérodynamiques sont également destinés à maintenir la voiture au sol pour qu'elle ne s'envole pas tel un avion.
La fin du programme et donc de l'aventure s'effectue donc au pieds des années 80. Quel héritage et que reste t-il de cette formidable aventure ? Au delà d'un dessin intemporel, ce sont les recherches aérodynamiques, les matériaux composites, les freins à disques, ou encore la suspension révolutionnaire (qui équipera la 190 quelques années plus tard), les performances pures, sans oublier le développement du diesel. Les répercutions sur les véhicules de série seront très concrètes. Prenez le diesel par exemple : Si en Europe les plus anciens ont connus au catalogue le fameux break 300TD sur la caisse W123 équipé du 5 cylindres turbo diesel de 125cv, ce moteur avait été développé initialement pour les USA sur la classe S (d'où la disponibité exclusive de la boîte auto sur la 300TD turbo D chez nous) afin de répondre à la problématique du second choc pétrolier. La 300 SD Turbodiesel a permis à Mercedes de répondre aux USA à une demande haut de gamme et permis à la marque de ne pas dévisser sur l plan des immatriculations sur un marché très important pour la marque.
Certaines C111 sont bel et bien immatriculées et équipées avec des équipements et finitions de série puisqu'elles ont été développées, testées et homologuées en Allemagne sur différents circuits. Mercedes Museum veille depuis sur l'essentiel de la production et afin de préserver les derniers blocs et pièces Wankel disponibles a reconverti une seconde C111 II en version V8 3.5 litres de 200cv associé à une boîte mécanique à 5 rapports afin de la faire essayer. Une première C111 II V8 avait déjà été assemblée du temps du Wankel à des fins de comparaison. Stricte deux places à la carrosserie en fibre de verre, la radio verticale était bien en place comme c'était la mode à l'époque. L'implantation de la climatisation a même été envisagée puis l'idée abandonnée. Si la voiture reste un concept car sur le fond, elle a été finalisée sur certains modèles comme super car avec des portes qui s'ouvrent avec des poignées d'une voiture de série. Le tissus des sièges était repris dans les contres portes. Les vitres se baissent via une manivelle et les rétroviseurs sont réglables de l'intérieur. La planche de bord est assez proche d'un modèle de série et les clients de la marque ne sont pas désorientés.
Même si les chiffres ne semblent pas officiels, ce sont seize C111 qui auraient été produites, 12 ou 13 avec le moteur Wankel à 3 ou 4 rotors, deux en diesel et une V8 essence.
Valeur de transaction : Pièce de musée sa valeur est inestimable.
La C111 de 1969 :
La C111/2 produite dans la foulée :
La C111/3 à moteur diesel :
L'ultime C111/4 à moteur V8 essence biturbo :
Les intérieurs de la C111/2 :
La maquette SL X où est née l'idée d'un coupé à moteur central arrière en 1965 :
La présentation de la C111 à Genève en 1969 :
Photos internet